21 juin 2006

Les (arts) premiers seront les derniers ...

C’est le principal sujet d’actualité de la semaine (et c’est plus heureusement plus intéressant que le marasme footballistique national ou que les invectives des grands malades qui nous gouvernent) : le musée des arts premiers ouvre ses portes.
Par lâcheté (pour reprendre un terme villepinesque), je résumerai ce que je pense de ce musée par une anecdote : un chanteur africain conclura par un mini concert la journée d’ouverture au public, le 24 juillet, où 30 000 visiteurs sont attendus. Le chanteur africain s’appelle Zao. Il a plus de 20 ans de carrière, a décroché quelques tubes au cours de sa carrière (« Ancien combattant », « Moustique », …). Bref, ce n’est pas un débutant. Loin de là, c’est même l’une des figures majeures de la musique africaine. Ce soir là, Zao sera accompagné par deux guitaristes (le prometteur Olivier Tshimanga et Maïka Munan), un joueur de sanza (le chanteur angolais Lulendo), un percussionniste (Jean-Marie Bolangassa) et son fidèle Faustin. Maintenant que vous avez toutes ces données, je vous laisse deviner quel budget a été prévu pour rémunérer ces artistes …
Inutile de vous fatiguer, vous ne devinerez jamais : 300 euros !
Trois cent tout petits euros alors que des dizaines (des centaines ?) de milliers d’euros ont été dépensés pour la campagne de communication qui a annoncé l’ouverture du musée ?
Oui. 300 euros …
Bien sûr, je fais un amalgame : ce n’est pas le musée qui paie si mal cet artiste, c’est France Culture, qui a invité Zao dans le cadre d’une émission en direct et en public depuis le musée. Et cette émission est censée profiter à la notoriété de l’artiste. Mais la morale reste la même : les arts premiers seront toujours les derniers. C’est comme ça. C’est pas de chance mais c’est comme ça.
Ce musée n’est pas conçu pour mettre en valeur des artistes « premiers ». D’ailleurs, un bon artiste « premier » est un artiste anonyme (ou mort, ou mort et anonyme, c’est encore mieux), dont on peut interpréter l’œuvre comme on le souhaite.
Alain Resnais et Chris Marker le disent bien mieux que moi dans un court-métrage qu’Alain Kasanda nous a fait découvrir récemment, « Les statues meurent aussi ». Si vous ne l’avez jamais vu, courez chez votre marchand de DVDs (il fait partie des bonus de « Hiroshima mon amour »). Si vous l’avez déjà vu, retournez le voir, quelques idées ont dû vous échapper (personnellement, il faudra que je le vois 3 ou 4 fois avant d’avoir tout saisi). Dès 1953, ce court-métrage prodigieux expliquait déjà que l’exploitation de l’art « nègre » (comme on l’appelait alors mais l’appeler « premier » ne change rien) ne profite jamais aux populations qui l’ont produit. Bien au contraire …
Ceci dit, il ne faut pas être schizophrène. Nous irons visiter ce musée (Claire, qui m’en parlait à l’instant, et moi, et vous, si vous le voulez bien) parce que nous aimons les arts africains, les arts précolombiens et les arts asiatiques. Nous y irons parce qu’il y a certainement dans ce musée, malgré ce qu’ont subi les chercheurs du Musée de l’Homme, des hommes et des femmes de bien qui sauront nous ouvrir les yeux sur des cultures qui remettent la nôtre à sa juste place.
Mais nous ne serons pas dupes un instant. Nous saurons bien que, pour ceux qui ont conçu ce musée, au fond, les arts premiers seront toujours les derniers.

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