18 juin 2006

Musique communautaire ...

En France, « communautaire » est un gros mot, une insulte. Politiciens et éditorialistes influents conspuent ce mot au nom de « l’intégration républicaine ». Peu leur importe que l’intégration dont ils se gargarisent n’ait plus la moindre réalité, il faut à tout prix éviter tout ce qui pourrait avoir une dimension « communautaire ».
Et pourtant, en écoutant le dernier album de Bruce Springsteen, « the Seeger sessions », c’est étrangement l’expression « musique communautaire » qui me vient à l’esprit.
Le DVD qui complète le disque donne le ton : on y voit un groupe d’une douzaine de musiciens (Sam Bardfeld et Soozie Tyrell au violon, Mark Clifford au banjo, Frank Bruno à la guitare, Jeremy Chatzky à la basse, Larry Eagle aux percussions, Charles Giordano à l’accordéon, Ed Manion au saxophone, Mark Pender à la trompette, Richie Rosenberg au trombone, Art Baron au tuba, Patti Scialfa et Lisa Lowell aux chœurs) enregistrer quelques classiques du répertoire folk états-unien dans la ferme de Bruce Springsteen. L’enregistrement est en grande partie improvisé et, avant chaque solo, Springsteen braille le nom du musicien qui devra l’interpréter. En particulier pour la section de cuivres, qui a dû rester dans le vestibule, le salon étant trop petit pour tous les musiciens.
Quel est l’intérêt d’un disque de reprises de titres qui faisaient partie du répertoire de Pete Seeger il y a quarante ans ? Quelle urgence y a-t-il en 2006 à enregistrer un disque où on entend le chef d’orchestre diriger ainsi ses musiciens ?
Paradoxalement, il semble qu’il n’y avait pas de plus grande urgence après le traumatisme des attentats et de la guerre. Bruce Springsteen, qui avait auparavant participé en vain à la campagne contre la réélection de George Bush, a dû longuement se demander ce qu’il pourrait bien enregistrer en ces temps de discorde et de haine. Et la réponse est étonnante mais brillante : un disque de chansons à chanter à tue-tête, en tapant du pied. Un disque de chansons que tout le monde a déjà entendu et peut reprendre à son tour. Un disque de réconciliation. Un disque égalitaire, où chaque musicien a l’occasion de briller. Peut-être pas le plus bel enregistrement de Springsteen mais un disque rayonnant, qui donne l’impression à l’auditeur d’être lui aussi dans cette ferme, invité à enregistrer les chœurs entre Patti Scialfa et Lisa Lowell. Un disque « communautaire » en quelque sorte.
Parce que la communauté n’est à rejeter que lorsqu’elle exclue. Au contraire, lorsqu’elle rassemble le plus grand nombre sous la bannière de l’accueil immédiat, chaleureux et sans préjugés, l’expression « musique communautaire » devient un compliment.
A quels autres disques, récents ou moins récents, pourrait-on décerner ce compliment ?
Quels autres disques donnent l’impression que la porte du studio est restée entrouverte, qu’on y serait le bienvenu si on s’y glissait ?
Voilà une question qui offre un bon prétexte pour revisiter sa discothèque …

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Des chroniques musicales comme ça j'en redemande… Bravo pour l'illustration/logo… j'aime.